Cas de conscience

Histoire de la propagande qui abouti à une alliance « islamisme, wokisme, antisionisme, anticolonialisme »

La propagande nazie destinée au monde arabe pendant la Seconde Guerre mondiale et la Shoah ; ses conséquences par Jeffrey Herf

Pendant la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, le régime nazi lança une intense campagne propagande en langue arabe à destination des sociétés d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Il opéra au moyen d’une documentation imprimée distribuée par l’Afrikakorps de la Wehrmacht, mais principalement par des émissions de radio sur ondes courtes diffusées depuis l’Allemagne. La propagande était une forme de guerre politique qui complétait les efforts infructueux déployés par Hitler pour remporter la victoire en Afrique du Nord.

Les archives du gouvernement allemand contiennent quelques traductions en allemand de ces émissions, ainsi qu’une partie de la documentation imprimée en arabe.


Les archives de loin les plus importantes sur cette campagne furent cependant réunies par diplomates américains en poste au Caire pendant la guerre. Là, ils enregistrèrent, transcrivirent et traduisirent plusieurs milliers de pages à partir des centaines d’émissions diffusées dans la région, notamment de 1941 à 1945.

C’est leur travail qui m’a permis d’écrire Hitler, la propagande et le monde arabe.

Nous savons désormais que, si l’Afrikakorps avait remporté la victoire, les SS de Heinrich Himmler auraient immédiatement suivi avec des unités comparables aux Einsatzgruppen, de sinistre réputation, qui assassinèrent plus d’un million et demi de Juifs en Europe orientale.

Ce ne fut que grâce aux victoires en Afrique du Nord des forces armées de Grande-Bretagne, d’Australie, de Nouvelle-Zélande et des États-Unis en 1942 et 1943 que les nazis échouèrent dans leur tentative d’étendre la Solution finale aux Juifs vivant dans les pays arabes, soit entre sept cent mille et un million de personnes.


Certes, cette tentative échoua, mais la campagne de propagande laissa des traces, et on entend aujourd’hui encore des échos de l’antisémitisme de l’époque de la guerre, ainsi qu’une réflexion de type paranoïaque sur les théories du complot, axée sur les Juifs, puis sur le sionisme et l’État d’Israël, réflexion qui influença la culture politique arabe dans les années d’après-guerre et qui persiste jusqu’à l’ère actuelle du terrorisme islamique.

Hitler et les dirigeants nazis pensaient que c’était une conspiration juive internationale qui avait déclenché la Seconde Guerre mondiale dans le but d’exterminer le peuple allemand . Lui-même et son régime interprétaient tous les grands événements de la guerre au travers de ce prisme idéologique.

La théorie du complot, élaboration antisémite des nazis, apparut pour expliquer ce qui leur semblait inexplicable : l’alliance entre les démocraties occidentales et l’Union soviétique.

La clé de ce mystère évident n’était autre que les puissants manipulateurs et tous ceux qui, dans les coulisses, à Moscou, Londres et Washington, invisibles mais bien réels, manœuvraient les soi-disant marionnettes appelées Roosevelt, Churchill et Staline.

Derrière eux tous se tenait « le Juif », menaçant, intelligent et meurtrier. Dans une guerre à mort, Hitler allait tuer les Juifs avant qu’ils ne tuent les Allemands. Plus les Alliés remportaient de victoires sur les armées adverses, plus les nazis disaient aux Allemands que le moment où les Juifs allaient les exterminer approchait. Dans leur esprit, la Shoah était un acte de représailles justifié et une mesure d’autodéfense mise en œuvre au paroxysme d’une sainte colère.

Pour Hitler, la nature internationale du complot juif antiallemand signifiait que l’effort investi pour exterminer les Juifs avait vocation à être lui aussi international. La Shoah devait donc être une « Solution finale de la question juive » non seulement en Europe, mais dans le monde entier.

Avant que les nazis ne lancent les mesures antijuives en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ils avaient besoin de clarifier leur compréhension de l’antisémitisme. Alors qu’ils étaient convaincus de sauver l’humanité du péril juif, ils avaient également une piètre opinion de la plupart des autres peuples.

La doctrine de la supériorité de la « race aryenne » créa un dilemme central pour le régime, rendant difficile la tâche de trouver des alliés dans le monde composé de peuples qui n’étaient pas membres de ce groupe élu, supérieur. Ce dilemme évident n’échappa guère à l’attention des diplomates allemands bien avant le début de la Seconde Guerre mondiale.

À l’automne 1935, le gouvernement de Hitler promulgua les lois raciales de Nuremberg qui privaient les Juifs d’Allemagne de leur nationalité et interdisaient les mariages entre Juifs et Allemands. Quelques mois plus tard, en décembre 1935, un certain Johannes Ruppert, né de l’union d’un officier turc avec une femme allemande, fut expulsé d’un groupe des Jeunesses hitlériennes dont il était membre depuis 1933. Ses parents portèrent l’affaire devant l’ambassade turque.

Les diplomates arabes reçurent des questions émanant d’Arabes vivant en Allemagne et désireux de savoir si leur mariage avec des conjoints allemands serait annulé. Ces cas conduisirent les diplomates en poste dans des pays arabes, en Iran ou dans l’Afrique du Nord française à se demander si le terme « antisémitisme » ainsi que les nouvelles lois raciales de l’Allemagne nazie s’appliquaient aux Turcs, aux Arabes et aux Perses, c’est-à-dire aux « sémites » non-juifs.

La définition de l’antisémitisme par l’Allemagne nazie était-elle assez large pour s’appliquer à eux, ou suffisamment étroite pour se limiter aux seuls Juifs ?

En 1935 et 1936, des diplomates turcs, égyptiens, iraniens et irakiens, aussi bien ceux qui se trouvaient dans leur pays d’origine que ceux qui étaient en poste à Berlin, évoquèrent ces questions avec leurs homologues allemands. Ces investigations et les réponses données par les Allemands furent insérées dans un dossier extrêmement intéressant des archives du gouvernement allemand intitulé « Appartenance des Égyptiens, Irakiens, Iraniens, Perses et Turcs à la race aryenne ».

Des diplomates allemands, en particulier des fonctionnaires de carrière, rappelèrent que l’Allemagne impériale s’était présentée comme une puissance anticoloniale avant et pendant la Première Guerre mondiale. Ils s’inquiétèrent à l’idée que l’idéologie et la législation raciales du régime nazi, ainsi que les remarques méprisantes de Hitler sur les Égyptiens dans Mein Kampf, ne sapent tout effort du régime nazi pour se présenter comme une puissance favorable aux Arabes et aux musulmans dans leur opposition à l’influence britannique et française en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

Le 2 février 1936, Walter Gross, directeur de l’Office de la politique raciale du parti nazi, observa, dans un mémorandum adressé au ministère des Affaires étrangères, que les lois raciales de Nuremberg du 15 septembre 1935 n’établissaient pas de distinction « entre aryens et non-aryens, mais plutôt entre personnes de sang allemand ou analogue d’une part, et Juifs ou autres étrangers de l’autre ».

Cependant, au printemps 1936, des reportages parus dans la presse sur la discrimination raciale qu’appliquerait l’Allemagne nazie à l’encontre des non-aryens, y compris les Arabes et les Perses, suscitèrent un véritable scandale au Moyen-Orient.

Eberhard Stohrer, l’ambassadeur d’Allemagne en Égypte, rapporta que la lecture de ces nouvelles avait causé « une grande peine » en Égypte, et qu’il tentait de réparer les dégâts. Stohrer se montra encore plus inquiet dans un mémorandum du 17 juin 1936 sur « La campagne juive contre les Jeux olympiques ».

Les responsables égyptiens des Jeux olympiques l’informèrent que si les lois raciales allemandes discriminaient les Arabes, l’Égypte reconsidérerait sa décision d’y participer.

Le 22 juin, Stohrer eut le plaisir d’informer le ministère des Affaires étrangères à Berlin que les diplomates égyptiens étaient désormais rassurés de savoir que « les lois allemandes autorisaient inconditionnellement les Égyptiens non-juifs à épouser des femmes allemandes dans les mêmes conditions que les Européens non-allemands », tandis que « les femmes égyptiennes non-juives » pouvaient épouser des Allemands en vertu des mêmes normes s’appliquant aux « Européennes non-juives ».

Il fut également très satisfait d’adresser la copie d’une déclaration du ministère égyptien des Affaires étrangères confirmant que les fonctionnaires égyptiens comprenaient maintenant que les lois raciales de Nuremberg ne s’appliquaient pas aux Égyptiens. Les Égyptiens avaient décidé d’assister aux Jeux de Berlin et avaient rejeté « toute tentative de les mettre au même niveau que les Juifs ».

L’affaire Ruppert, la réaction arabe aux lois raciales de Nuremberg et les débats sur la participation aux Jeux olympiques de Berlin en 1936 constituèrent un moment important et peu connu d’élucidation de ce que signifiait l’antisémitisme dans l’histoire du régime nazi.

Ce fut la période au cours de laquelle un régime reposant sur des principes racistes limita la signification de ce terme à l’hostilité à l’égard des seuls Juifs et non à l’égard de ceux qui auraient pu, très plausiblement, être inclus dans ce terme, à savoir les Arabes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, les Turcs ou les Perses (Iraniens). Cette clarification fut communiquée au cours d’une série de réunions à haut niveau de fonctionnaires du ministère nazi des Affaires étrangères et de l’Office de la politique raciale du parti nazi, ainsi qu’aux responsables de la chancellerie de Hitler, aux SS et au ministère de la Propagande réunis à Berlin au cours de l’été 1936.

Cette année-là, les diplomates allemands et les fonctionnaires de l’Office de la politique raciale du parti nazi (Rassenpolitischesamt) avaient conclu que le régime nazi était antijuif, mais non antisémite, si le terme « sémites » incluait les Arabes, les Iraniens et les Turcs non-juifs. Par la suite, le terme « antisémitisme » cessa d’apparaître dans la propagande nazie et fut remplacé par des expressions comprenant toujours le mot Juif en adjectif, comme dans Judengegner ou Judenfeindshaft.

Avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, le ministère des Affaires étrangères investit des efforts considérables pour convaincre les Arabes, les Perses (Iraniens) et les musulmans que sa politique antijuive ne se fondait pas sur un racisme biologique visant les « non-aryens » ou les « sémites » en général. Elle était dirigée uniquement contre les Juifs qui, affirmaient les nazis, étaient l’« ennemi » commun de l’Allemagne nazie et du Moyen-Orient arabe et islamique.

L’antisémitisme nazi propagé dans le Moyen-Orient arabe et musulman comprenait une accusation politique enveloppée dans une théorie du complot, et il supplantait l’antisémitisme fondé sur la biologie raciale.

Avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, ces débats abscons, ergotant sur la signification du sang et de la race, fournirent le fondement juridique et conceptuel de la réconciliation de l’idéologie et de la législation raciale allemande avec l’intensif travail en cours sur les relations avec les sémites non-juifs, c’est-à-dire les Arabes et les musulmans pronazis.

Ce fut également le cadre de l’ample collaboration idéologique entre le régime nazi et les exilés arabes pronazis à Berlin pendant la guerre. La théorie du complot et la haine du Juif qui caractérisaient la propagande nazie en Allemagne pouvaient désormais être adaptées pour séduire un public arabe, iranien et musulman.

Cette collaboration produisit une remarquable osmose entre le national-socialisme, le nationalisme arabe radical et l’islam militant.

Cette rencontre des cœurs et des esprits entre les exilés arabes pronazis et les fonctionnaires du régime nazi produisit une propagande en langue arabe qui arrivait sous la forme de plusieurs dizaines de millions d’exemplaires de tracts ou de milliers d’heures d’émissions de radio quotidiennes en ondes courtes à destination de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Hitler, la propagande et le monde arabe présente l’histoire de la fusion entre les traditions antijuives enracinées dans l’histoire européenne et allemande, et celles qui émergèrent dans l’islam militant du milieu du xxe siècle.

Si le régime nazi produisit une quantité considérable d’émissions de radio, les programmes en langue arabe ne furent jamais enregistrés ou retranscrits ou, s’ils le furent, les documents furent détruits ou perdus au cours des derniers mois de la Seconde Guerre mondiale. Bien qu’une documentation abondante et importante porte sur ces sujets dans les dossiers du ministère allemand des Affaires étrangères, la série de dossiers la plus volumineuse et aussi la plus remarquable sur la propagande nazie à destination du monde arabe s’avère être celle de l’ambassade américaine au Caire pendant la guerre.

Car c’est là que l’ambassadeur américain Alexander Kirk réunit une équipe qui transcrivit et traduisit en anglais les émissions de radio de l’Allemagne nazie en langue arabe. Kirk et son successeur Pinkney Tuck adressèrent chaque semaine les retranscriptions complètes en anglais au bureau du secrétaire d’État à Washington, du printemps 1942 au mois de mars 1945. Il en résulta plusieurs milliers de pages classées sous le titre « Émissions de l’Axe en arabe » qui furent transmises aux services du renseignement civils et militaires des États-Unis et de la Grande-Bretagne, ainsi qu’au Bureau des informations de guerre (Office of War Information), l’organisme chargé de la guerre politique américaine.

Pour autant que je sache, les dossiers des « Émissions de l’Axe en arabe » figurant aux Archives nationales des États-Unis constituent la documentation disponible la plus complète en n’importe quelle langue sur la propagande allemande en arabe destinée aux Arabes et aux musulmans pendant la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. Avec les dossiers des gouvernements allemand et britannique, ils permettent de brosser le tableau suivant de la propagande nazie à destination de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient pendant la Seconde Guerre mondiale.

En premier lieu, de l’automne 1939 à mars 1945, le régime nazi diffusa des émissions en arabe sept jours sur sept sur les chaînes en ondes courtes provenant de stations à Rome et à Bari en Italie, à Athènes en Grèce et, surtout, de grands émetteurs radios situés dans la ville de Zeesen, près de Berlin. Ces émissions comprenaient plusieurs heures d’informations et de commentaires.

Étant donné que, pendant la guerre, le taux d’alphabétisation des sociétés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord avoisinait les 20 % (et, dans certains cas, moins pour les musulmans, et moins encore pour les femmes musulmanes), la radio était le moyen le plus efficace pour atteindre les minorités politiquement engagées de la région.

Les services secrets américains estimaient qu’il existait quelque cinquante mille postes de radios en ondes courtes en Égypte, dix mille en Palestine et quinze mille au Liban et en Syrie.

Les groupes d’auditeurs écoutant la radio dans des cafés étaient un spectacle ordinaire. Les renseignements sur l’accueil et l’importance du public sont peu abondants. Les émissions visaient ce public relativement restreint qui avait accès aux radios en ondes courtes et était déjà favorable aux puissances de l’Axe.

Ensuite, le lien entre les éléments laïcs et religieux de la propagande en langue arabe fut puissant et durable. Quelques responsables nazis souhaitaient limiter la propagande à des appels à l’anti-impérialisme arabe laïc dirigés contre la Grande-Bretagne ; d’autres préféraient solliciter explicitement les traditions de l’islam. Dans la pratique, avec le temps, la distinction entre appels laïcs et religieux s’estompa.

Dans les mêmes textes et les mêmes émissions, les nazis tenaient un discours séculier sur l’attaque de l’impérialisme américain, britannique et « juif », tout en sollicitant ce qu’ils appelaient les anciennes traditions de haine des Juifs dans l’islam même.

L’Allemagne nazie se présentait à la fois comme l’alliée des anti-impérialistes arabes et comme l’âme sœur de la religion de l’islam et de ce qu’on appelait l’islamisme.

Du début à la fin de la guerre, l’attaque du sionisme dans la propagande du nazisme en langue arabe fut inséparable de sa haine antisémite, c’est-à-dire antijuive.

En fait, les fonctionnaires et diplomates nazis pensaient que l’hostilité au sionisme du IIIe Reich était l’un des atouts politiques majeurs dans leur entreprise visant à s’assurer le soutien des Arabes et des musulmans. Inversement, en dépit du Livre blanc britannique restreignant l’immigration juive en Palestine pendant la Seconde Guerre mondiale, et malgré le refus de Roosevelt à la même époque de se prononcer clairement pour l’établissement d’un État juif en Palestine, les nazis – ainsi que les principaux fonctionnaires américains et britanniques – croyaient que l’association des Alliés et des Juifs en faveur du sionisme entravaient les tentatives des Alliés de gagner un soutien à leur cause dans la région.

Aucun aspect de la propagande nazie ne mêla ses dimensions laïques et religieuses plus efficacement que ne le fit l’attaque continue et véhémente de l’idéologie et de la politique sioniste.

Enfin, la mise au point de la propagande en langue arabe fut un effort conjoint qui produisit une fusion intellectuelle et politique de traditions antisémites très diverses, d’origine soit européenne soit islamique.

Les Allemands n’avaient ni la capacité linguistique des orateurs arabes autochtones, ni la familiarité avec les particularités de la politique locale au Moyen-Orient. Les exilés arabes apportèrent cette connaissance. À Berlin, ils apprirent les aspects plus subtils des théories antisémites du complot surgies en Europe et adaptées à la politique du Moyen-Orient. Sur le plan historique, il en résulta une fusion culturelle ou, en termes d’interprétation culturelle récente, une hybridation provenant du mélange et de la fermentation, en l’occurrence, des idéologues fascistes et nazis d’Europe, et des Arabes et islamistes radicaux qui, poursuivis par les Alliés, avaient trouvé refuge à Rome et à Berlin.

Ce fut une rencontre des cœurs et des esprits, non un affrontement de civilisations. Chacune des parties, à sa façon proposait une lecture sélective et radicalisée de ses traditions qui trouvaient un terrain d’entente dans la haine du sionisme et des Juifs.

L’interprétation islamiste et nazie, ainsi que la lecture sélective du Coran furent déterminantes pour ce travail de fusion culturelle.

Des traductions en arabe de Mein Kampf et des Protocoles des sages de Sion circulaient au Moyen-Orient avant 1939. Cependant, ni ces textes, ni de grands discours de Hitler ou de Goebbels ne jouèrent de rôle significatif à la radio nazie ou dans la propagande imprimée destinée à la région. En fait, au milieu des années 1930, les diplomates allemands comprirent que les conceptions racistes de Hitler à l’égard des Arabes exprimées dans Mein Kampf sapaient les efforts déployés par les Allemands pour trouver des alliés et des collaborateurs parmi les « sémites non-juifs », c’est-à-dire arabes et musulmans.

En réalité, l’importance de la propagande nazie en tant que chapitre de l’histoire de l’islamisme radical et de la diffusion de l’antisémitisme au Moyen-Orient reposait sur l’alliance de l’idéologie nazie et d’une lecture sélective des thèmes antijuifs déjà présents dans le Coran et dans les commentaires islamiques sur ce thème, ainsi que des courants antisionistes du nationalisme arabe.

Les principaux responsables du ministère allemand des Affaires étrangères ainsi que de l’Office central de la Sûreté du Reich de la SS en conclurent que c’était le Coran et les traditions de l’islam telles qu’ils les avaient sélectivement compris, et non Mein Kampf ou les Protocoles, qui offraient la clé de l’entrée culturelle et politique dans le cœur et l’esprit d’un nombre extrêmement difficile à préciser d’Arabes et de musulmans.

Tout comme le nazisme radicalisa des traditions d’antisémitisme préexistantes d’Europe et d’Allemagne – tout comme il s’inspira d’une lecture sélective des traditions européennes –, il fit également appel aux éléments antijuifs et antisionistes du nationalisme arabe et du radicalisme islamique, leur apporta son soutien et contribua à les radicaliser.

Certains documents clés, tels les discours du grand mufti de Jérusalem, Haj Amin el Husseini pendant la guerre, sont de notoriété publique et font l’objet de travaux universitaires depuis des décennies. Pourtant, lorsque j’ai entrepris cette recherche, la majeure partie de la propagande arabe diffusée à la radio ou imprimée n’avait pas été examinée.

En 1941, Hitler chargea le ministère des Affaires étrangères, dirigé par Joachim von Ribbentrop, des émissions étrangères. Ses dossiers renferment des versions allemandes des émissions en arabe, ainsi que des documents imprimés en arabe qui furent distribués principalement en Afrique du Nord entre 1940 et 1943 par les unités du renseignement liées à l’Afrikakorps du général Erwin Rommel, par des diplomates dans les ambassades et les consulats au Maroc et en Tunisie, ainsi que par les avions de la Luftwaffe qui larguaient en parachute des boîtes métalliques spécialement conçues pour contenir des documents en arabe. Cependant, la documentation imprimée, si ingénieusement conçue qu’elle ait pu être, se heurtait à l’obstacle des faibles taux d’alphabétisation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. La radio pouvait atteindre un public plus large.

De septembre 1939 à l’automne 1941, les émissions en arabe sollicitèrent principalement les compétences des orientalistes allemands spécialistes de littérature et de poésie arabe et islamique, les connaissances acquises sur place par les diplomates allemands au cours des années d’avant la guerre, ainsi que la contribution – impossible à préciser – d’Arabes favorables à l’Axe et résidant à Berlin lors du déclenchement de la guerre.

La plupart de ces émissions avaient le ton d’un intellectuel sympathique, très désireux de plaire, quoique pas vraiment capable de saisir les tenants et les aboutissants de la politique locale. Ces premières émissions envoyaient un message clair : le régime nazi, au lieu de glorifier la supériorité des Aryens sur les sémites inférieurs du Moyen-Orient, était un ami aussi bien des nationalistes arabes que des musulmans. Par exemple, le 3 décembre 1940, l’Orient Office diffusa ce qui suit :

« Oh, fidèles de Dieu ! Au-dessus de tous les autres commandements, aucun n’est plus important pour les musulmans [Mohammedaner] que la piété, car la piété est au cœur de toutes les vertus et c’est ce qui lie toutes les nobles caractéristiques humaines… Dirigez votre regard vers le saint Coran et la tradition des prophètes»

Les émissions nazies répétaient que les valeurs de l’islam comme la piété, l’obéissance, la communauté, l’unité, plutôt que le scepticisme, l’individualisme et la division, étaient semblables à celles de l’Allemagne nazie.

Le fait qu’un tel mélange d’attaques contre les valeurs politiques modernes ait été communiqué via les moyens de communication électroniques les plus modernes en 1940 constitue un autre exemple de ce que j’ai appelé auparavant le caractère « moderniste réactionnaire » de certains aspects de l’idéologie et de la politique nazie .

Cette émission, et d’autres encore, véhiculaient le message qu’un réveil de l’islam fondamentaliste était un projet parallèle à la révolte politique et idéologique du national-socialisme contre la modernité politique occidentale.

Le message qu’entendait transmettre cette émission, c’était qu’un retour à une lecture littérale du Coran et son application aux événements contemporains n’étaient pas seulement ou principalement la relique d’une culture rétrograde, mais faisaient partie intégrante du grand mouvement moderne désormais au pouvoir dans l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste.

Ces premières émissions donnaient la preuve à la fois du talent et des limites de l’orientalisme allemand nazi. Les idiomes et la politique locale leur échappaient. L’arrivée en novembre 1941 de Husseini, Khilani et leur entourage mit fin à cette défaillance et associa des noms et des voix arabes familières au IIIe Reich.

Dans sa rencontre très médiatisée avec Husseini à Berlin, le 28 novembre 1941, Hitler écouta ce dernier chanter ses louanges, exprimer son soutien à l’Allemagne nazie, et demander que l’Allemagne et l’Italie publient une vigoureuse déclaration de soutien à l’indépendance arabe face à la Grande-Bretagne.

Si Hitler répondit que le moment n’était pas encore venu de publier une telle déclaration, il déclara à Husseini que, lorsque les armées allemandes sur le front oriental parviendraient à la « porte sud » du Caucase, il « donnerait au monde arabe l’assurance que l’heure de sa libération avait sonné. L’objectif de l’Allemagne serait alors uniquement la destruction de l’élément juif résidant dans la sphère arabe sous la protection de la puissance britannique ».

En d’autres termes, à l’époque même où Hitler avait pris la décision de lancer la Solution finale de la question juive en Europe, il avait aussi annoncé à Husseini son intention de l’étendre également « hors d’Europe », c’est-à-dire au moins aux Juifs vivant en Égypte, en Palestine, en Transjordanie et en Irak.

Alexander Kirk arriva au Caire le 19 mars 1941 pour prendre son poste de chef de la Légation américaine. Le 13 septembre 1941, il envoya ses premières dépêches à propos des émissions de la radio nazie en langue arabe au bureau du secrétaire d’État Cordell Hull, à Washington.

La dépêche envoyée par Kirk le 18 avril 1942 résumait les émissions allemandes en langue arabe des six mois précédents, c’est-à-dire la période qui suivait l’arrivée à Berlin de Husseini et Khilani .

La propagande allemande espérait convaincre les Arabes que les pays de l’Axe éprouvaient « une sympathie naturelle pour les Arabes et leur grande civilisation, la seule à être comparable à la civilisation introduite par l’Ordre nouveau en Europe, qui est en train d’être supprimée par “l’impérialisme britannique”, “la barbarie bolchevique”, “l’avidité juive” et, plus récemment, “le matérialisme américain” ».

Les Arabes ne pourraient « jamais être amis de la Grande-Bretagne parce ses promesses étaient fallacieuses ».

La radio allemande en arabe dénonçait les Juifs ad nauseam. Elle affirmait que les Juifs, « soutenus par la Grande-Bretagne et les États-Unis » étaient « les ennemis jurés de l’islam ». Ils contrôlaient la finance américaine et avaient « contraint Roosevelt à mener une politique d’agression ». Roosevelt et Churchill étaient des « jouets entre les mains des démons juifs qui détruisent la civilisation »…

Tout au long de la Seconde Guerre mondiale, la propagande de la radio nazie attaqua la Grande-Bretagne et les États-Unis en particulier pour leur prétendu soutien à la création d’un État juif en Palestine.

Chaque déclaration d’une personnalité publique de Grande-Bretagne ou des États-Unis exprimant sa colère du fait de la persécution des Juifs en Europe ou son soutien à un État juif en Palestine était considérée comme une preuve supplémentaire du fait que les Juifs avaient la mainmise sur les gouvernements de Grande-Bretagne, des États-Unis, mais également du « bolchevisme juif » à Moscou. Comme c’était le cas dans la propagande nazie en Europe, Roosevelt et Churchill – qualifiés de laquais – étaient les principaux coupables. Je l’ai montré plus haut, l’antisionisme fut un élément central de la propagande nazie.

Au printemps, à l’été et à l’automne 1942, alors que l’unité d’Afrique du Nord du général Erwin Rommel avait avancé à moins de cent trente kilomètres d’Alexandrie, en Égypte, la radio de l’Allemagne nazie en langue arabe prévoyait une victoire imminente. Le 3 juillet 1942, « Berlin en arabe » annonça que l’Allemagne et l’Italie avaient déterminé que « les troupes des puissances de l’Axe avancent victorieusement en territoire égyptien […] afin de garantir l’indépendance et la souveraineté de l’Égypte ».

La radio diffusa ensuite la déclaration suivante du grand mufti de Palestine, Haj Amin el Husseini :

La glorieuse victoire remportée par les troupes de l’Axe en Afrique du Nord a encouragé les Arabes et l’Orient tout entier, et a rempli leur cœur d’admiration pour le génie du maréchal Rommel, ainsi que pour la bravoure des soldats de l’Axe. Et ce, parce que les Arabes pensent que les puissances de l’Axe combattent contre l’ennemi commun, à savoir les Britanniques et les Juifs, et afin de supprimer le danger de la propagation du communisme, après l’attaque de l’Iran [par les Alliés]. Ces victoires, d’une façon générale, auront des répercussions d’une grande portée pour l’Égypte, parce que la perte de la vallée du Nil et du canal de Suez, ainsi que l’effondrement de la domination britannique sur la Méditerranée et sur la mer Rouge, rapprochera le moment de la défaite de la Grande-Bretagne et de la fin de l’empire britannique .

La déclaration allemande et italienne en faveur de l’émancipation arabe de la Grande-Bretagne était exactement celle que Husseini et Khilani avaient souhaitée dès leur arrivée à Rome et à Berlin, et ces derniers exprimaient leur soutien aux puissances de l’Axe.

Étant donné que ni la France de Vichy ni l’Italie fasciste n’étaient entrées en guerre en vue de garantir l’indépendance et la souveraineté des Arabes, Hitler et Mussolini avaient différé une telle déclaration. Maintenant qu’un soulèvement en Égypte risquait de saper les forces armées britanniques, les dictateurs acceptèrent de fait une telle déclaration.

Depuis 1942, l’Allemagne nazie se présentait comme une puissance anticoloniale alliée des Arabes contre « les Britanniques et les Juifs ». C’était dans l’esprit des attaques nazies contre la Grande-Bretagne et la France en Europe.

À 20h15, heure du Caire, le 7 juillet 1942, l’ambassade américaine au Caire enregistra une émission de la station nazie « La Voix de l’arabisme libre ». Ce fut l’une des émissions nazies les plus remarquables de la guerre illustrant les liens entre la ligne de propagande générale en Europe et son adaptation au contexte du Moyen-Orient.

Le texte était intitulé « Tuez les Juifs avant qu’ils ne vous tuent ». C’était une déclaration dans la même veine que l’antisémitisme génocidaire de Hitler et de Goebbels. L’émission commençait par un mensonge, à savoir qu’« un grand nombre de Juifs habitant en Égypte et un certain nombre de Polonais, de Grecs, d’Arméniens et de Français de la France libre, avaient été munis de revolvers et de munitions » afin de « les aider contre les Égyptiens au dernier moment, lorsque la Grande-Bretagne serait contrainte d’évacuer l’Égypte ». Elle se poursuivait ainsi :

Devant ce dessein barbare des Britanniques, nous estimons, si l’on veut sauver la nation égyptienne, que mieux vaut que les Égyptiens se dressent comme un seul homme pour tuer les Juifs avant que ceux-ci n’aient une chance de trahir le peuple égyptien. Il est du devoir des Égyptiens d’anéantir les Juifs et de détruire leurs biens. L’Égypte ne pourra jamais oublier que ce sont les Juifs qui ont mené la politique impérialiste britannique dans les pays arabes et qu’ils sont la source de toutes les catastrophes survenues dans les pays d’Orient.

Les Juifs visent à étendre leur domination dans les pays arabes, mais leur avenir dépend d’une victoire britannique. C’est pourquoi ils tentent d’épargner son sort à la Grande-Bretagne et c’est pourquoi cette dernière les arme pour tuer les Arabes et sauver l’empire britannique. Vous devez tuer les Juifs avant qu’ils n’ouvrent le feu contre vous. Tuez les Juifs, qui se sont approprié vos richesses et qui complotent contre votre sécurité.

Arabes de Syrie, d’Irak et de Palestine, qu’attendez-vous ? Les Juifs prévoient de violer vos femmes, de tuer vos enfants et de vous détruire. Selon la religion musulmane, défendre votre vie est un devoir qui ne peut être accompli qu’en éliminant les Juifs. C’est votre meilleure occasion de vous débarrasser de cette sale race, qui a usurpé vos droits et a apporté le malheur et la ruine dans vos pays. Tuez les Juifs, brûlez leurs biens, détruisez leurs magasins, supprimez ces vils suppôts de l’impérialisme britannique. Votre unique espoir de salut, c’est d’anéantir les Juifs avant qu’ils ne vous anéantissent ..

On retrouve ici, appliqué au contexte arabe et musulman, la même logique de projection et la même paranoïa qui était l’une des caractéristiques définissant l’antisémitisme radical du nazisme en Europe. Là aussi, le massacre était présenté comme un acte d’autodéfense justifié. Il était impossible d’être plus direct. La diatribe associait les haines politiques et raciales du nazisme à l’évocation de prétendues exigences religieuses de l’islam.

Dans leur propagande à usage interne, les nazis affirmaient que leur régime était en train d’exterminer les Juifs d’Europe parce que ceux-ci auraient, disaient-ils, lancé une guerre d’extermination contre l’Allemagne. Dans leur propagande radiodiffusée à destination des Arabes et des musulmans, ils appelaient le public à participer, c’est-à-dire qu’ils exhortaient les auditeurs à prendre les choses en main.

Dans leur important ouvrage intitulé Nazi Palestine : The Plans for the Extermination of the Jews of Palestine, les historiens allemands Michael Mallmann et Martin Cüppers ont révélé que les agents secrets allemands adressaient des rapports à Berlin précisant que si le corps de Rommel en Afrique du Nord était victorieux et parvenait à entrer au Caire et en Palestine, il pourrait compter sur le soutien de quelques éléments du corps des officiers égyptiens, ainsi que sur les Frères musulmans.

Ils dévoilaient également qu’un Einsatzgrupppe de soldats SS dirigés par Walter Rauff à Athènes était prêt à partir pour la Palestine en vue d’assassiner la population juive au cas où Rommel remporterait la bataille d’El Alamein.

Les fonctionnaires allemands s’attendaient à ce que la population arabe locale apporte un soutien important à cette entreprise, tout comme les Ukrainiens avaient apporté leur aide aux unités SS sur le front est . La propagande nazie avait le double objectif d’attirer les Arabes et les musulmans aux côtés de l’Axe et de les inciter à soutenir les plans nazis visant à étendre la « Solution finale » au-delà des limites géographiques de l’Europe.

Les émissions de radio nazies visaient à attiser le feu et à inciter à la violence, non à informer, à prêcher les convertis plutôt qu’à influencer les non-engagés. Elles ne proposaient pas grand-chose en matière d’information sérieuse, notamment en ce qui concernait les revers militaires de l’Allemagne nazie.

Cependant, de 1943 à la fin de la guerre, « Berlin en arabe » et « La voix de l’arabisme libre » lançaient des mises en garde désespérées contre la catastrophe qui frapperait Arabes et musulmans si les Alliés gagnaient la guerre. En Allemagne, le discours de Goebbels du 18 février 1943 « Voulez-vous une guerre totale ? » donna le ton de la propagande nazie confrontée aux revers sur le champ de bataille. Tout en exprimant sa confiance en une victoire à long terme, la propagande nazie multiplia les descriptions de plus en plus frappantes des désastres qui guettaient les Allemands s’ils perdaient la guerre.

Pour les auditeurs arabes et musulmans, les émissions parlaient de plans effroyables que les Juifs leur réservaient.

Par exemple, le 8 septembre 1943, « Berlin en arabe » décrivit « Les ambitions des Juifs ».

Les Juifs ne seraient pas satisfaits tant qu’ils n’auraient pas « rendu juif tout le territoire entre le Tigre et le Nil ». Ils avaient pour objectif de « supprimer la Croix et le Croissant de tous les pays arabes ». S’ils y parvenaient, « il ne resterait plus le moindre musulman ou chrétien dans le monde arabe. Arabes ! Imaginez l’Égypte, l’Irak et tous les pays arabes devenant juifs sans chrétienté ni islam ».

Le 24 septembre 1943, La voix de l’arabisme libre continua dans cette veine en demandant :

« Quels sont les objectifs du sionisme international ? » Les Juifs ne voulaient pas seulement s’emparer de la Palestine. Ils aspiraient plutôt à la « possession de tous les pays arabes d’Orient et d’Occident », jusqu’à l’océan Atlantique. À l’ouest, ils convoitaient l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, et à l’est, ils voulaient relier la Syrie au Liban, puis ces deux pays à la Palestine.

Ce « plan juif » présentait « le plus grand danger » auquel seraient confrontés les Arabes et les musulmans si « nos ennemis, les Britanniques, les Américains et les bolcheviques étaient victorieux ».

Une victoire des Alliés permettrait aux Juifs de réaliser ces rêves et de contraindre les Arabes « à vivre comme des nomades. » Les prédictions de catastrophe au cas où les Alliés et les Juifs gagneraient la guerre demeurèrent un thème majeur de la propagande nazie – notamment en langue arabe – jusqu’à la fin de la guerre .

Un mois plus tard, le 3 novembre 1943, La Voix de l’arabisme libre discuta de « la Palestine entre les Bolcheviques et les Juifs ». Elle traduisait l’incitation au meurtre de la propagande nazie en Allemagne.

Ne devrions-nous pas maudire l’époque qui a permis à cette race inférieure de réaliser ses désirs à partir de pays comme la Grande-Bretagne, l’Amérique et la Russie ? Les Juifs ont déclenché cette guerre dans l’intérêt du sionisme. Les Juifs sont responsables du sang versé. Malgré tout, l’impudence juive a pris une telle ampleur qu’ils affirment être les seuls à être sacrifiés dans cette guerre, les seuls à subir ses rigueurs. Le monde ne sera jamais en paix tant que la race juive n’aura pas été exterminée. Autrement, il y aura toujours des guerres. Les Juifs sont les germes qui ont causé tous les malheurs du monde .

Désormais, les émissions présentaient l’ambition des Juifs de réaliser leur objectif sioniste comme la cause de la Seconde Guerre mondiale. Bien évidemment, ces affirmations non seulement allaient à rebours du bon sens et amplifiaient de façon extravagante la puissance des Juifs, mais en outre, elles exagéraient la signification générale du conflit entre Juifs et Arabes à propos de la Palestine.

Dans la Seconde Guerre mondiale, notamment après la victoire des Alliés dans la bataille de Tunisie, le conflit sur la Palestine était une affaire de moindre importance par rapport aux principaux événements de la guerre européenne. Pourtant La Voix de l’arabisme libre estimait que le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale dans son ensemble s’expliquait par l’aspiration sioniste pour un État juif en Palestine. C’est pourquoi, le seul moyen d’instaurer la paix du monde, et aussi d’empêcher l’établissement d’un tel État, consistait à exterminer « la race juive ».

Pendant la guerre froide, après les purges anticosmopolites du début des années 1950, les propagandistes soviétiques, les nationalistes arabes et les islamistes radicaux affirmaient tous que l’Allemagne nazie avait travaillé en coopération étroite avec les sionistes .

Cette affirmation devint un élément courant de la campagne de propagande menée contre Israël au cours des décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale (parallèlement aux affirmations répétées que les Israéliens se comportaient comme des nazis .

En fait, les preuves sont écrasantes : aussi bien dans sa politique que dans sa propagande, le régime nazi méprisait le sionisme, ne faisait aucune distinction entre sionistes et Juifs, ou entre sionisme et judaïsme, et estimait que l’opposition implacable et acharnée au sionisme revêtait une importance décisive pour l’établissement et le resserrement des liens avec les collaborateurs arabes et musulmans.

Après la Seconde Guerre mondiale, Husseini affirma – et ses partisans avec lui – qu’il avait soutenu les nazis surtout parce que ces derniers étaient opposés aux Britanniques et que l’ennemi de son ennemi était devenu son ami.

Sa collaboration cependant ne fut pas seulement un épisode de calcul politique machiavélique ou d’anticolonialisme. Elle reposait plutôt sur une profonde affinité idéologique qu’il chercha à nier lorsque le nazisme devint synonyme à la fois de défaite et d’opprobre.

En fait, l’une des contributions caractéristiques de Husseini à la diffusion de l’antisémitisme européen dans les sociétés arabes et islamiques réside dans sa capacité à associer l’idéologie nazie, sa lecture sélective du Coran et des traditions islamiques et le langage laïc de l’anticolonialisme.

Le 5 novembre 1943, La Voix de l’arabisme libre rapporta que Husseini avait pris la parole lors d’un meeting de protestation à Berlin, rassemblement de « tous les musulmans d’Allemagne et d’Europe » pour protester contre la déclaration Balfour . L’Institut central islamique à Berlin publia en allemand le texte de cette allocution. Le ministère allemand des Affaires étrangères en distribua des milliers d’exemplaires en arabe via son réseau de courrier clandestin .

Husseini y déclarait sans ambages que sa haine des Juifs se trouvait aussi bien dans des sources religieuses anciennes que dans des sources laïques modernes, et que le sionisme n’était que l’attaque la plus récente lancée par les Juifs contre l’islam. Il affirmait que sa haine était entérinée par Dieu et par le Coran.

Il ajoutait que les Juifs, qui avaient martyrisé le monde de toute éternité, étaient l’ennemi des Arabes et de l’islam depuis son émergence. Le saint Coran exprimait cette vieille inimitié par les propos suivants : « Vous découvrirez que ceux qui sont les plus hostiles aux croyants sont les Juifs. » Ils avaient tenté d’empoisonner les grands et nobles prophètes. Ils leur avaient résisté, leur étaient hostiles et avaient comploté contre eux. Il en était ainsi depuis mille trois cents ans. Durant tout ce temps, ils n’avaient pas cessé d’ourdir des complots contre les Arabes et les musulmans.

Pour Husseini, l’islam enraciné dans le Coran était une théologie intrinsèquement antijuive.

De tels arguments confortaient la conclusion manichéenne selon laquelle la guerre entre Arabes et Juifs était totale et devait prendre fin par la destruction des uns ou des autres. De nouveau, l’antisémitisme de l’émission était à la fois ancien et moderne, évoquant ainsi une continuité qui remontait aux fondements de l’islam, mais bénéficiait d’une mise à jour comme les théories du complot antisémites du régime nazi.

Les mois et les années de l’immédiat après-guerre apportèrent des preuves des séquelles de la campagne de propagande nazie.

Au cours de l’été 1945, Husseini s’enfuit en Allemagne, mais fut arrêté en France. Dans des circonstances suspectes, il « s’évada » de sa détention française et arriva au Caire.

À Washington, le Bureau des services stratégiques prépara un rapport le 23 juin 1945 sur la façon dont les acteurs politiques de la région réagiraient à d’éventuels procès pour crimes de guerre intentés à des Arabes pronazis . Les auteurs de ce rapport intitulé « The Near East and the War Crimes Problem » (Le Proche-Orient et le problème des crimes de guerre) écrivaient:

« au Proche-Orient, la population manifeste de l’apathie à l’égard du procès des criminels de guerre nazis. Par suite de l’hostilité générale ressentie au Proche-Orient à l’égard de l’impérialisme de certaines puissances alliées, on constate une tendance à sympathiser avec ceux qui ont aidé l’Axe, plutôt qu’à les condamner

Un an plus tard, Husseini retourna en Égypte. Le 11 juin 1946, Hassan Al Banna, qui dirigeait les Frères musulmans, adressa aux fonctionnaires de la Ligue arabe une déclaration sur le retour de Husseini. L’OSS en obtint une copie qui disait, entre autres :

Al Ikhwan Al Muslimin [les Frères musulmans] et tous les Arabes demandent à la Ligue arabe, en laquelle les Arabes placent leurs espoirs, de déclarer que le mufti est le bienvenu et peut séjourner dans tout pays arabe de son choix, et qu’il lui sera réservé un chaleureux accueil partout où il ira, en témoignage de reconnaissance pour les grands services qu’il a rendus à la gloire de l’islam et des Arabes […]. Le cœur des Arabes a palpité de joie en entendant que le mufti avait réussi à se rendre dans un pays arabe […]. Quel héros, quelle merveille d’homme […].

Oui, ce héros qui a défié un empire et combattu le sionisme, avec l’aide de Hitler et de l’Allemagne. L’Allemagne et Hitler ne sont plus, mais Amin Al Husseini poursuivra la lutte […]. Dieu lui a confié une mission, et il doit réussir […]. Le Tout-Puissant n’a pas protégé Amin pour rien. Il doit y avoir un dessein divin derrière la protection de la vie de cet homme, [et ce dessein, c’est] la défaite du sionisme. Amin ! Avance ! Dieu est avec toi ! Nous sommes derrière toi ! Nous sommes disposés à nous sacrifier pour la cause. Jusqu’à la mort ! En avant, marche .

Écrire que l’Allemagne et Hitler n’étaient plus, mais que Husseini allait « poursuivre la lutte » contre « le criminel Britannique et contre le sionisme » donnait l’impression qu’il s’agissait de la même « lutte » qu’auparavant.

Les vainqueurs en Europe étaient qualifiés d’« armées de la colonisation ».

Une lecture plausible de la déclaration d’Al Banna et de l’ensemble du texte permettrait de dire que Husseini poursuivait la même lutte que Hitler et l’Allemagne, et que Husseini lui-même l’avait menée pendant la guerre. De fait, pour Al Banna, cette guerre devait être poursuivie et s’il en était ainsi, qui mieux qu’un chef politique et religieux avec l’expérience du combat contre l’ennemi pour jouer un rôle de dirigeant.

Loin de le critiquer pour s’être rangé aux côtés de « l’Allemagne et de Hitler », Al Banna exprima son admiration pour les activités de Husseini pendant la guerre. Vivant lui-même au Caire pendant le conflit, Al Banna et les Frères musulmans avaient pu entendre à la radio de l’Axe ce que Husseini et d’autres avaient à dire des Juifs et des Alliés. C’étaient ces mots et ces actes qu’il trouvait si admirables. De plus, la survie de Husseini, son « évasion » et son arrivée au Caire étaient la preuve que Dieu approuvait lui aussi cette évolution.

Au début des années 1950, l’Union soviétique, les États et les partis communistes du monde tournèrent le dos à Israël. Ils firent du sionisme une injure et décrivirent Israël comme un laquais de l’impérialisme américain.

Dans le sillage de la guerre des Six Jours de 1967, la nouvelle gauche internationale adopta des arguments similaires.

Le retournement des communistes et des gauchistes contre Israël s’effectua au nom de l’antifascisme et de l’antiracisme.

Pour ce faire, elle refoula les faits autrefois notoires et indéniables montrant l’étroite collaboration de certains nationalistes et islamistes arabes avec le régime nazi, ainsi que l’impact de cette collaboration dans la politique arabe et islamiste des décennies d’après-guerre.

Les documents d’archives prouvent à l’évidence que la collaboration avec l’Allemagne de Hitler constitua un important chapitre de l’histoire d’une tradition du milieu du xxe siècle qui trouve des échos dans le terrorisme islamique de notre époque.


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